La biodiversité souterraine

Acarien cavernicole (photo M. André, Musée de Tervueren - Microscope électronique)

Parmi les habitants du domaine hypogé, on distingue classiquement trois catégories, en fonction de leur degré de dépendance au milieu souterrain :

• les trogloxènes, hôtes temporaires, habituels ou occasionnels
• les troglophiles, hôtes permanents qui accomplissent tout leur cycle biologique sous terre mais peuvent vivre aussi dans d'autres milieux adéquats
• les troglobies, strictement inféodés au milieu des grottes et des fentes karstiques ou autres où ils sont confinés toute leur vie, depuis longtemps et pour toujours

Si chacun de ces éléments faunistiques a son importance dans les communautés cavernicoles, seuls les troglobies présentent des adaptations spécifiques à la vie souterraine permanente.

Leur morphologie est marquée par la dépigmentation tégumentaire, l'anophtalmie et, souvent, l'hypertrophie d'autres organes sensoriels, par compensation. Leur métabolisme est très faible, leur croissance lente, leur cycle vital très long, leur taux de reproduction peu élevé.

Ces caractères biologiques, résultat d'une évolution régressive, rendent les troglobies définitivement prisonniers du milieu souterrain, dont la caractéristique écologique principale est, sans nul doute, l'uniformité et la constance des facteurs du milieu.

Les troglobies aquatiques sont plus particulièrement appellés « stygobies » (de "Styx", le fleuve souterrain mythique). On parle aussi de stygoxènes, et de stygophiles, en parallèle avec les trogloxènes et les troglophiles.

En Europe, la faune souterraine ne compte qu'un seul vertébré stygobie: le protée, un amphibien urodèle, endémique des rivières souterraines de Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et de la région de Trieste en Italie. Il présente un très grand intérêt patrimonial, car à côté des traits adaptatifs à la vie souterraine (dépigmentation, disparition des yeux, ralentissement du développement et retard jusqu'à l'âge de 15 ans de la maturité sexuelle), il a conservé certains traits primitifs que les Amphibiens possédaient avant de conquérir les continents et la vie aérienne par la métamorphose.

Les chauves-souris, autres vertébrés remarquables du milieu souterrain, ne sont pas considérées comme des formes troglobies, exclusives du domaine souterrain, mais comme des animaux trogloxènes réguliers, se nourrissant effectivement à l'extérieur des cavités et ne fréquentant celles-ci que pour s'y reposer, hiberner ou mettre-bas.

La biodiversité souterraine est donc largement le fait des invertébrés, qui comptent en Europe environ 4000 espèces troglobies et stygobies contre 20 espèces de vertébrés (1 stygobie, le protée, et 19 trogloxènes, les chauves-souris). La faune d'invertébrés terrestres souterrains est dominée en Europe par les Insectes Coléoptères, principalement par le groupe des Bathysciinae aux populations abondantes et présentant des espèces ultra-évoluées de grand intérêt et, d'autre part, par le groupe des Trechinae, carnivores au sommet de la pyramide alimentaire terrestre, à populations très réduites et aires de répartition très limitées.

La faune aquatique souterraine, quant à elle, est largement dominée par les Crustacés (Copépodes, Ostracodes, Syncarides, Isopodes, Amphipodes, Décapodes) comptant de nombreux fossiles vivants et habitant les nappes karstiques, le milieu interstitiel du sous-écoulement des cours d'eau, les nappes alluviales ou encore, pour être complet, les grottes anchihalines (en relation avec la mer) où l'on a récemment découvert une nouvelle classe de Crustacés (les Remipèdes), les plus primitifs connus.

En plus des Crustacés, il faut mentionner les Mollusques aquatiques Hydrobiidae des nappes alluviales et du sous-écoulement des cours d'eau d'Europe occidentale.

Crustacés et Mollusques stygobies présentent souvent une distribution très restreinte, autrement dit une haute endémicité, leur habitat pouvant être limité à un seul aquifère karstique, un bassin versant ou à un groupe de bassins versants. Ils peuvent servir de bioindicateurs très sensibles de la qualité et de la vulnérabilité des biocénoses (communautés d'organismes vivants) des eaux souterraines. D'autre part, leur abondance dans certains aquifères fait suspecter un rôle épurateur, non négligeable, par assimilation des matières organiques ou par bio-transformation ou bio-accumulation de certains polluants.

Mais l'exceptionnel intérêt patrimonial de la faune souterraine repose surtout sur son caractère relicte: certains crustacés, Isopodes et Bathynelles par exemple, sont d'origine très ancienne et ne comptent plus aucun parent à la surface de la terre: ce sont de véritables fossiles vivants, espèces relictes d'une faune qui s'est diversifiée en surface au temps des Dinosaures.

Claude DE BROYER

Trogloxènes, troglophiles et troglobies

Les Trogloxènes sont des animaux vivant dans le milieu extérieur mais pouvant pénétrer et séjourner temporairement dans les grottes. Ils y pénètrent soit par hazard, entraînés par des crues par exemple (on les considère comme des "faux cavernicoles"), soit plus généralement par choix, en recherchant certaines conditions du milieu qui leur conviennent. On les rencontre plutôt dans la zone d'entrée et la zone intermédiaire, où leur activité est presque nulle. Ils ne se reproduisent pas sous terre, sauf rares exceptions (exemples de trogloxènes: certains papillons, moustiques, phrygames, batraciens, ...anisi que les chauves-souris. Certains batraciens et chauves-souris peuvent se reproduire sous terre).

Les Troglophiles sont des organismles cavernicoles dont les populations vivent également dans le milieu extérieur. Certaines de leurs potentialités les prédisposent à vivre dans le milieu souterrain où ils sont actifs en permanence, se reproduisent et effectuent leur cycle de développement complet. Ils ne présentent pas de morphologie particulière (exemples: planaire (Fonticula...), araignée (Nesticus, Meta), certains mille-pattes, escargots (Oxychilus)...).

Les Troglobies vivent uniquement dans le milieu souterrain. Leurs spécialisations, résultats d'une évolution régressive, les condamnent à vivre exclusivement dans ce milieu, dont ils sont devenus prisonniers. Ils présentent une série d'adaptations évolutives de grand intérêt biologique (exemple: crustacés (Niphargus, Proasellus, copépodes...), insectes dont des coléoptères (Tychobythinus), collembole...).

Quelques liens intéressants

Pour en savoir plus sur la flore et la faune souterraine

• Page web présentant (en anglais) les caractéristiques de la biologie des grottes, du karst et des eaux souterraines. Réalisé et mis a jour par l'université et le musée du texas.
• Hydrobiologie et écologie des eaux souterraines Site regroupant les recherches, les publications et les résultats mené depuis plusieurs dizaines d’années par le laboratoire d’écologie souterraine de l’Université de Lyon 1.
• Page web décrivant quelques une des caractéristiques particulières de la faune cavernicole et de ses adaptations au milieu souterrain.
• Groundwater biology home page